La colère d'hiver
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- Écrit par D. Gaborit - Dessins de Karine Richard
Gaïa, déesse de la Terre, avait quatre fils. Comme elle les aimait de manière égale et qu’elle ne voulait pas qu’ils se disputent le pouvoir, elle leur proposa de régner à tour de rôle sur la Terre.
Ils acceptèrent et il fut décidé que chacun prendrait le contrôle de la Terre pendant trois mois avant de le passer au suivant.
C’est ainsi que Printemps, l’aîné, entama la première période de gouvernance. Ce jeune dieu était d’un tempérament doux et joyeux. Il trouva la Terre fort triste lorsqu’il commença son règne. Il faut dire que si Gaïa avait déjà tout créé y compris les plantes et les animaux, elle avait un peu bâclé les finitions et l’ensemble était un peu gris et terne. Pour égayer le paysage, Printemps ajouta de multiples nuances de vert aux arbres et végétaux, colora le ciel et la mer en bleu, habilla les fleurs de couleurs vives. À la vue de ce tableau, les animaux s’animèrent joyeusement, les abeilles butinèrent, les oiseaux pépièrent et le monde se mit à vivre.
Au bout de trois mois, Été prit la relève. Il avait beaucoup d’allure et était d’un naturel particulièrement chaleureux. Il trouva la température un peu froide et commença par monter le soleil dans le ciel pour mieux chauffer et éclairer la Terre. Il était également gourmand : il transforma les fleurs des arbres de Printemps en de nombreux fruits sucrés et remplaça les champs verts par des blés dorés. Les oiseaux se mirent à picorer, les humains à récolter et tous à se régaler avec beaucoup d’animation et d’insouciance…
Puis vint le tour d’Automne. Le troisième fils de Gaïa était tour à tour flamboyant et mélancolique. Il trouva les rayons du soleil d’Été trop vifs et privilégia un éclairage plus doux. Mais pour compenser cette perte de lumière, il habilla les arbres d’ors, de rouges et de bruns chatoyants. Fatigués par le rythme endiablé d’Eté, les animaux apprécièrent ce retour au calme.
Enfin, Hiver prit le pouvoir pour la quatrième et dernière période. Jaloux de ses frères, ce dieu avait un tempérament froid et un ton mordant. Il décida que sa saison serait la plus belle et qu’il ferait mieux que Printemps, Eté et Automne réunis. Son chef d’œuvre serait une pluie de paillettes multicolores qui tomberaient du ciel et couvriraient l’ensemble du paysage d’un manteau aux multiples nuances irisées.
Cependant, l’arrogance d’Hiver et son caractère glacé ne plaisaient pas beaucoup aux animaux. Particulièrement à Marmotte et à Ours qui aimaient bien s’amuser et regrettaient beaucoup la saison d’Été. Ils avaient fait quelques suggestions à Hiver comme de réchauffer l'atmosphère, Automne ayant un peu trop baissé la température à leur goût.
Agacé par l'audace des deux animaux qui se permettaient de lui dicter sa conduite, Hiver avait descendu davantage le soleil dans le ciel et la chaleur sur Terre... « Les rayons du soleil rasant mettront en valeur les nuances irisées des paillettes givrées que je vais faire descendre du ciel, leur expliqua-t-il d'un ton glacial. Cela donnera le plus magnifique des paysages. »
Cette fois-ci, il faisait vraiment froid et tous les animaux se mirent à grelotter.
Frigorifiés, Ours et Marmotte décidèrent de se venger d'Hiver. Alors que le dieu était occupé avec les nuages pour mettre au point les paillettes qui devaient tomber du ciel, nos deux compères s'introduisirent dans son atelier à la recherche d'une farce à lui faire.
Au milieu d'un bric-à-brac d'outils et de plans, Marmotte découvrit la palette de couleurs que devait utiliser Hiver pour parachever son œuvre. C'était une palette magnifique avec toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Ours et Marmotte se regardèrent, la même idée leur avait traversé l'esprit :
- On va lui piquer sa palette de couleurs, suggéra Ours.
- Comme ça, il ne pourra plus faire sa pluie de paillettes multicolores et peut-être qu'il nous mettra un peu plus de chauffage ! renchérit Marmotte.
Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux amis se faufilèrent hors de l'atelier avec la boîte de couleurs. Ils avaient décidé qu’ils s’amuseraient à faire quelques essais de peinture sur leur pelage avant de l'abandonner dans un fourré épais. Mais ils n'eurent pas le temps d'aller bien loin car Hiver revenait déjà à l'atelier, dans l'intention de faire des essais de couleurs sur les paillettes qui étaient enfin prêtes à tomber des nuages. Il découvrit tout de suite le vol et rugit de colère.
Ours et Marmotte qui n'étaient qu'à quelques centaines de mètres entendirent son cri. Ils se figèrent, terrorisés :
- Finalement, je ne suis plus très sûre que c'était une bonne idée, murmura Marmotte d'une petite voix.
- Cachons-nous vite !
Et ils se mirent à courir vers la montagne.
Pendant ce temps, Hiver avait fureté autour de l'atelier pour découvrir des indices sur les voleurs. Il remarqua très vite les empreintes d'Ours et de Marmotte dans la terre meuble du sentier. Il se mit à suivre leur trace, plein de rage. Sur son passage, il soufflait sur les arbres et les buissons pour arracher les feuilles et voir si les chapardeurs se dissimulaient dans la végétation. Bientôt, le paysage ne fut plus que désolation.
Marmotte et Ours n'en menaient pas large et grimpaient toujours plus haut dans la montagne. Ils longeaient un long précipice quand un hurlement plus terrible d'Hiver fit sursauter Marmotte. Elle fit un faux pas et manqua tomber dans le gouffre. Heureusement, Ours la rattrapa à temps par sa patte arrière. Mais la palette de couleurs lui échappa des mains et tomba dans le vide.
Une fois remise de sa frayeur et après avoir remercié Ours de lui avoir sauvé la vie, Marmotte s'approcha du précipice : on n'en voyait pas le fond.
- On ne récupérera jamais la palette de couleurs, constata Marmotte affligée
- Hiver ne nous le pardonnera jamais... grogna Ours.
Au même moment, les paillettes d'Hiver commencèrent à tomber du ciel en de jolis flocons glacés. Ils n'étaient pas colorés mais d'un blanc immaculé et peu à peu ils couvrirent le paysage.
- C'est joli aussi en blanc, commenta Marmotte, émerveillée.
- Oui, mais on va vite nous repérer avec nos fourrures brunes sur un paysage recouvert de blanc. Il faut qu'on trouve une cachette.
Avec la complicité des autres animaux, Ours se réfugia dans une grotte et Marmotte dans un terrier. Pendant trois mois, Hiver les chercha partout, sans décolérer.
Morphée, qui passait par là, eut pitié de Marmotte et Ours terrés dans leurs cachettes. Alors, d'un souffle magique, il les endormit jusqu'au retour de Printemps.
Depuis, chaque année, Marmotte et Ours se cachent et hibernent pour échapper à la colère d'Hiver. Car le dieu est très rancunier et ne leur a pas pardonné d'avoir volé sa palette. Il continue à la rechercher pour terminer son œuvre inachevée et peindre la neige avec les couleurs de l'arc-en-ciel.